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Consommateurs : s’extraire du jeu de dupe des soldes permanentes

10 Décembre 2014 : 300 mètres de files denses et fébriles rue Neuve, à Bruxelles. Il ne s’agit pas d’un cortège pour commémorer la journée internationale des droits de l’Homme. Non. C’est l’ouverture du deuxième mégastore Primark de Belgique !

Champion des soldes permanentes, Primark a poussé à l’extrême un business model fondé sur l’addiction des consommateurs, poussés par des prix dérisoires à acheter toujours plus de vêtements « Kleenex ». Un jeu de dupe qui flatte l’ego et le pouvoir d’achat. Mais est-ce bien là que se situe notre vrai pouvoir d’achat ? N’est-ce pas plutôt dans le pouvoir qu’il nous donne d’influencer les choses ? A promouvoir de bonnes conditions de travail pour tous, par exemple. Après tout, nous sommes tous, à la fois consommateurs, travailleurs et citoyens.


Notes

  1. C’est le cas notamment pour des vêtements destinés aux bébés et futures mamans, auprès de Tale Me.

De sondage en sondage, un nombre croissant d’entre nous s’affirme en faveur d’une consommation socialement responsable, respectueuse des droits des travailleurs. Bravo à ceux qui passent à l’acte, se tournant vers des vêtements fabriqués en Belgique de manière socialement responsable, ou vers le seconde-main customisé ou pas, à l’affût d’information et de nouveaux modes de consommation. Mais pour une majorité d’entre nous, concilier cet engagement avec nos choix de consommation reste difficile. « Trop cher ! » est la raison la plus souvent évoquée (pas nécessairement par les moins nantis qui savent que « rien ne coûte si cher que du bon marché qui ne sert à rien ! »). Rareté et faible visibilité de l’offre, mais surtout plaisir et impulsivité du choix d’un vêtement de mode font souvent passer au second plan les considérations sociales ou même environnementales. Enseignes et marques de mode connaissent leurs clients. Elles le façonnent. Elles surfent allègrement sur ce besoin de légèreté et cette recherche d’identité, fondant leur rentabilité sur un renouvellement ultra rapide des modèles et sur la construction d’une image teintée de désir et de perfection.

Nous renseigner pour chacun de nos achats, pour nous rendre compte que la marque est plus ou moins « réglo », c’est s’extraire de ce jeu de dupe de la séduction matérielle si réconfortante. Certes, les grandes marques communiquent à foison sur leurs engagements (bien moins sur l’impact de leurs pratiques). Des organisations comme achACT proposent sur internet des profils fouillés, des classements ou même une Phone App. Des organisations de consommateurs comme Test Achats intègrent dans les tests de produits sensibles des critères sociaux et de transparence. Mais il faut bien admettre que cela ne simplifie pas toujours la prise de décision du consommateur en recherche d’une réponse rapide, un Oui ou un Non, une liste noire ou blanche...

Ainsi, l’enquête réalisée par achACT en 2013 auprès des marques et enseignes porte sur les engagements des entreprises en matière de salaire vital. Aujourd’hui, aucune marque ni enseigne n’intègre le montant de ce salaire (de deux à cinq fois le salaire effectivement payé aux travailleurs) dans le prix qu’elle paye à ses fournisseurs asiatiques ou d’Europe Orientale (voir l’article à paraître sur le salaire vital).

Certaines entreprises témoignent cependant d’un engagement plus solide que d’autres, soit parce qu’elles testent concrètement des manières de garantir que le supplément de prix qu’elles paient à leurs fournisseurs aboutisse effectivement dans les poches des travailleurs, soit parce qu’elles collaborent avec d’autres ou dialoguent avec des syndicats locaux. Atteindre un même objectif peut ainsi se traduire dans des pratiques différentes que l’on soit une petite entreprise minoritaire chez un fournisseur ou le client quasi exclusif d’une usine… S’il n’y a pas de listes noires, il y a cependant des critères d’exclusion : les entreprises qui ne daignent pas répondre aux enquêtes, qu’elles émanent d’achACT ou de Test Achats par exemple, n’ont plus d’excuses. Elles ne sont pas dignes de la confiance du consommateur… Test Achats l’a bien compris en révisant récemment sa cotation, attribuant un score négatif et non plus neutre, aux entreprises sondées qui ne répondent pas aux questions portant sur des thématiques sociales ou environnementales.

Un label : la fausse bonne idée

A l’heure actuelle, il n’existe aucun label opérationnel portant en particulier sur le respect des droits des travailleurs qui confectionnent un vêtement donné. Certains labels écologiques ou de commerce équitable du coton ont tenté d’étendre leur spectre d’application aux questions sociales pour les uns ou au secteur de la confection pour l’autre, mais aucun ne se fonde sur des systèmes de vérification crédibles ni sur des standards complets. Aucun par exemple ne garantit le respect d’un salaire vital, pas même le label Max Havelaar ! Tous sont fondés sur des audits sociaux et des mesures d’accompagnement précaires qui se sont révélés inefficaces pour garantir le respect des droits des travailleurs. Enfin la plupart de ces labels reportent la responsabilité sur les fournisseurs. Ils leur imposent des contraintes coûteuses, sans exiger des sociétés donneuses d’ordre qu’elles revoient globalement leurs pratiques d’achat problématiques.

Responsabiliser les marques vis-à-vis de leurs filières d’approvisionnement

Plutôt que de certifier un produit, d’autres systèmes misent sur la crédibilisation d’une démarche d’entreprise. Cela paraît effectivement plus approprié dans un secteur où les filières d’approvisionnement fluctuent et ou le pouvoir d’influence des marques et enseignes est énorme. Parmi ces systèmes, la Fair Wear Foundation, basée en Europe, est spécialisée dans l’habillement et « multipartite », c’est-à-dire que ses instances de décision sont composées de représentants d’entreprises, de syndicats et d’ONG. Son job consiste à accompagner les entreprises dans la mise en conformité de leurs filières d’approvisionnement vis-à-vis de standards basés sur les droits fondamentaux des travailleurs. Standards complets, vérification multipartite et processus transparent en font une initiative citée en référence par achACT. Une centaine d’entreprises en sont membres. Il s’agit en grande partie de PME.

Enfin, des marques et enseignes s’engagent pour résoudre des problèmes spécifiques en identifiant contractuellement leur rôle vis-à-vis de leurs fournisseurs et des travailleurs. C’est le cas par exemple des signataires de l’Accord pour la sécurité des bâtiments d’usine au Bangladesh. 190 entreprises y ont adhéré suite à l’effondrement du Rana Plaza. Cet Accord concerne la mise en conformité des usines des fournisseurs des signataires, soit 1600 bâtiments où travaillent deux millions de personnes.

Participer à un mouvement citoyen…

Pour pouvoir exercer notre choix de consommer socialement responsable, n’attendons pas qu’une solution nous soit offerte sur un plateau d’argent. Muons-nous en citoyen pour créer des solutions. Des leviers d’action ont montré une certaine efficacité ces 25 dernières années. La plupart d’entre eux combinent une force de proposition avec une capacité de griffer l’image de marque des entreprises en dénonçant des violations des droits humains dans leurs filières d’approvisionnement. Les campagnes menées dans les années 1990 vis-à-vis de Nike ou de Triumph, la première à grand renfort de logos détournés et la seconde mettant en avant l’image épurée d’une jeune fille portant un soutien-gorge en fil barbelé ont toutes deux remporté un franc succès. Nike a modifié certaines de ses pratiques et a garanti plus de transparence. Triumph a fermé ses usines birmanes mettant ainsi fin à son soutien à la junte militaire dénoncée pour l’usage du travail forcé et s’installant en Thaïlande en y respectant la liberté d’association.

Ces succès nécessitent une démarche active de pression citoyenne, via pétition, courrier ou autre expression de mécontentement. Au lendemain du Rana Plaza, 1.150.000 personnes ont ainsi signé la pétition appelant les marques à adhérer à l’Accord pour la sécurité des bâtiments d’usine au Bangladesh, avec le succès que l’on connaît.

Ensemble, on est plus fort !

Au-delà de l’individu, des collectivités de consommateurs peuvent exercer des choix d’achats parfois plus rationnels que des consommateurs individuels « impulsifs ». Ces collectivités peuvent par exemple conditionner leurs achats de vêtements de sport, de travail ou promotionnels au respect de normes sociales par les fournisseurs. Lorsqu’on commande 5000 ou 50 000 vêtements, on a bien sûr plus de poids qu’un consommateur isolé. Sur certains créneaux de produits cette influence peut réellement changer la donne. Par exemple, les achats publics représentent en Europe environ la moitié du marché des vêtements de travail. En imposant aux soumissionnaires le respect des droits des travailleurs, les acheteurs publics ont la possibilité d’influencer fondamentalement le comportement des entreprises (voir à ce propos le Mode d’emploi de l’achat public écologique et socialement responsable de vêtements de travail et promotionnels).

Des entreprises privées peuvent également adopter une attitude socialement responsable pour leurs achats de vêtements professionnels. Et les organisations syndicales peuvent plaider et agir en ce sens au sein de l’entreprise.

Il en va de même pour les autres collectivités telles que des clubs de sport, écoles, associations, festivals, ONG, ou cercles d’étudiants. De nombreuses entreprises de vêtements de travail, de vêtements promotionnels ou encore de vêtements outdoor ou de sport sont membres de la Fair Wear Foundation. achACT a développé un guide online pour aider les collectivités à adresser une demande de prix auprès de ces entreprises. Aux Etats-Unis, 175 universités et collèges soutiennent le « Workers Rights Consortium » (WRC), l’alter ego de la Clean Clothes Campaign outre-Atlantique. Ils n’autorisent l’impression de leur logo (gros enjeu de marketing aux USA) que sur des produits provenant d’entreprises dont les conditions de travail ont été vérifiées et approuvées par le Workers Rights Consortium.

Revaloriser l’habit

Le respect des droits de celles et ceux qui confectionnent nos vêtements passe aussi par un changement de regard sur notre consommation de vêtements. Stop aux soldes permanentes. Revalorisons l’habit, tant dans son prix que dans sa qualité et sa durabilité et luttons contre la surconsommation de vêtements jetables à bas coûts. Recherchons par exemple le producteur proche. Il est certes souvent plus cher mais ses prix seront la plupart du temps compensés par un vêtement d’une plus longue durée d’utilisation.

Et puis, il n’est pas toujours indispensable d’acheter. Réparons nos vêtements ! Privilégions la valeur d’usage à la possession. Certaines enseignes ne proposent plus des vêtements à la vente mais en location, conciliant ainsi le plaisir ou la nécessité de changement à la durabilité et à la production locale.

En définitive, lutter pour les droits des travailleurs de l’habillement et repenser sa consommation nous invite à sortir des sentiers battus, à bouillonner d’action et de créativité. Vive la consommation citoyenne. Et vive l’action citoyenne !